Back to Firpo - poems in French


Quand les monsieurs de Sancerre
A poem from 1943
with an appendix from 1994


Quand les Messieurs de Sancerre
apportaient des perdrix à la jolie meunière
et chauffaient leurs bottes à l’éclat du printemps
nous n’irons plus au bois
ni vers l’étang
nous n’irons plus
avec les filles de Renoir
apporter la moisson au moulin de nos pères
meunier ton moulin va trop vite
meunier tu dors
quelle hirondelle
à la poursuite de l’or
entraîne la roue
vers le silence d’autrefois
qui ouvre la rose et dit: je crois

Où donc est le moulin de ma jeunesse
où la rivière se glisse
qui dominait la plaine
et le champ des narcisses?
tout semble s’être envolé
dans un silence complice
- qui donc s’en est allé
pour ne plus revenir
a traversé le gué
le violon faux des noces et l’étoile va jaunir
nous n’irons plus au bois
la terre est occupée
par la haine et l’effroi
mais l’oiseau
chante de plus belle
une hirondelle
qui trouve un toît
et la guerre qui trouve sa proie
un homme porteur de fausses croix
et le monde couvert de foi
la foi non-vécue
tout se résume dans un éclair
refus de la parole faite chair
la parole reste dans l’air
- mais la bête fera ce qu’elle dit
et creusera les tombes jour et nuit

mais l’oreille tendue
vers le ciel en éclats
o! rumeur pareille à celle du tombeau
- qui nous donna le dieu des sirènes d’alarme
le pain noir de l’avenir au moulin de nos fils
et la guerre devenu le vin de tous les jours?

enfants vous qui portiez dans vos cartables trop lourds
la victoire de nos pères et la défaite des roses
vous alliez recevoir la mer par tous les bords
mais le sang ne charriait que des radios vendues
qui vous chantaient l’amour avec la voix des grues
le vrai Noël sans Noël et l’autre hiver
l’enfant à qui on a volé l’enfance
et l’homme auquel on a volé la paix
- ainsi la guerre n’est qu’une image
pour des oiseaux en cage
et tous ces démagogues dans les plis du drapeau
dont le souci premier est de tourner les pages
et de manipuler le butin du naufrage
- toutefois l’eau est pure comme autrefois
sur les pâtures et prés du bois
et cela même si le ciel n’est plus un toît
il reste la route et la vraie croix
et plus près de nous encore
notre joie dans l’allée des frênes
quand les filles allaient à la fontaine
et que le couchant les faisait reines.

étonnante puissance des mots
tu ne remplis que des tombeaux
passer de l’usine à la guerre
comme on passe de l’été à l’hiver
ce délire de prendre
ce délire de s’étendre
par le feu et le cendre
ce n’est plus un mystère
l’homme est de trop sur la terre
la guerre fait le beau
tout est précis et comme il faut
la moisson faite on range la faux
la force attire comme l’aimant
mais le monde rêvé tout autre
assez de paternôtres
c’est encore nous
que nous aimons dans l’autre

foules décapitées de jugement
par le manque d’amour
vous cherchez l’unité
que dans l’aveuglement
et dans l’ivresse du moment
l’espoir d’un jour
où ne plus penser
serait la victoire
et vous allez vers la mort
sans même lever la doigt
tout en brûlant les livres
et chantant votre joie
tempête de la gloire
qui nous délivre
et nous fait vivre
au pas de l’oie

- quelle faiblesse a fait le fort
et la haine d’autrui
les rafles de minuit?
- mais le temps se couvre
et quel soleil découvre
le berger dément
qui conduit le troupeau
vers les Noëls du néant
la vie est brève
et tout s’achève
par la moisson du sang
sans que l’on ait prévu
que la bête féconde
la vérité qui ment
tandis qu’autour de nous
le désert croît
et que l’ordre est versée
comme on versait la poix

plus de frontières natales
tout est possible
et tout s’égale
il n’y a plus
de bien ni de mal
et le plus fort doit vaincre le faible
c’est une loi totale
afin que la bête s’étale
quand Satan conduit le bal

à l’arrivée comme au départ
le mensonge attend
comme le train dans les gares
attend sur la voie de garage
que la voie soit libre
pour conduire vers la mort
- car qui n’est pas responsable
du coupable-innocent?


                              1943
                              Pertuis

       Fin  (1994)


tout se compose
et se décompose
autour d’un manque

- qu’est-ce qui nous manque
pour être vraiment nous-même
et pouvoir aimer l’autre
sans le détruire?
- quel peuple se libère
par le retour triomphal
au néant virginal?
- qui donc a voulu vivre
sans avoir vécu?
- qui a fait un carton
à l’échelle de l’univers?
se libérer enfin
de notre croix
se libérer enfin
de la loi d’aimer
l’autre notre frère
par la meurtre du père
et n’avoir qu’un souci
retrouver la magie
de l’égalité dans la mort

ainsi
les croix de bois
le don du corps
le don de soi
ne sont parfois
qu’une fausse foi
sans lendemain
où il manque
          le prochain.  



un poème n'est jamais fini - car finir, c'est commencer. J'ajoute donc, au 1943 (et non 42 donné par erreur) une fin ouverte, qui laisse à chacun la possibilité de répondre aux questions que soulèvent [sic. que souleve? - PB] et émet le poème. C'est pour cet au-delà, que le poème est important. Donc acte.       Firpo


                                                 
To Poems 1998 (Le pur naufrage)